Plus d’un an après cette nuit, le traumatisme reste entier pour Lina*. La quatorzième chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris a jugé et condamné mercredi dernier Salim M. pour enlèvement, séquestration et agression sexuelle sur Lina, mais pas sur son amie Soline*, absente lors du procès. Ce faux chauffeur a écopé d’une peine de quarante-deux mois de prison, dont dix-huit avec sursis.
Nous sommes le dimanche 21 avril 2024. Il est environ 6 heures du matin. Lina et son amie Soline viennent de passer la nuit dans une boîte de nuit, dans le secteur des Champs-Élysées, près de la place de l’Étoile. Les deux jeunes femmes souhaitent rentrer chez elles, d’autant plus que Lina, en alternance dans le cadre d’un BTS, doit commencer le travail à 11 heures.
Les deux amies font alors appel à un VTC. Elles affirment avoir commandé une course via l’application Uber. L’enquête révélera que la commande n’a jamais abouti. Mais alors qu’elles pensent que c’est le cas, elles montent dans une Toyota. À bord : Salim, un chauffeur qui exerce clandestinement pour Bolt, une autre plateforme de VTC. Cet ancien boulanger a débuté son activité illégale quelques jours plus tôt. Ni le véhicule ni l’accès à l’application Bolt ne lui appartiennent. Il n’est d’ailleurs pas titulaire d’une licence de VTC.
À partir de là, les versions divergent et sont parfois confuses. Si Lina pense être montée dans le bon véhicule, Salim, dans un français hésitant, raconte à la barre une toute autre version. Ce chauffeur d’origine tunisienne, arrivé en France en 2013, explique qu’après une très longue journée de travail, il avait accepté une course pour un certain « Alex » ou « Alexis ». Mais, insatisfait de la destination, et souhaitant rentrer chez lui dans l’ouest parisien, il annule la course. Il affirme alors avoir échangé avec les deux jeunes femmes et leur avoir proposé de les ramener gratuitement à Argenteuil, où il réside, alors qu’elles devaient se rendre dans le sud de la capitale. Selon lui, elles voulaient se rendre également à Argenteuil pour se procurer du protoxyde d’azote, une accusation fermement réfutée par Lina.
Le faux VTC emprunte les avenues de la Grande-Armée puis Charles-de-Gaulle. Très vite, le climat se tend entre le chauffeur et ses passagères, qui comprennent que le véhicule ne se dirige pas vers leur destination dans le sud de Paris. L’homme se montre insistant et pose ses mains sur Lina, vêtue d’une jupe, installée à l’avant. « Il m’a touchée à la cuisse en remontant sa main sur mon pubis », confie à la juge Lina en larmes. « À aucun moment je ne l’ai touchée, à part pour lui mettre sa ceinture », rétorque t-il, critiquant le comportement de Soline qui, selon lui, l’auraient traité de « sale blédard » et giflé. « À aucun moment elle ne l’a giflé ni insulté », assure pourtant Lina.
À Neuilly-sur-Seine, Soline, assise à l’arrière, quitte la voiture et tente de faire sortir Lina. Mais celle-ci n’a pas le temps de s’extraire que la Toyota redémarre en trombe, portière avant ouverte. Une version confirmée par la vidéosurveillance présente sur l’avenue Charles-de-Gaulle. « J’ai paniqué », se défend le chauffeur pour justifier son redémarrage brutal.
Le véhicule s’engage alors dans le tunnel de La Défense. À son extrémité, la voiture s’apprête à prendre l’A86 intérieure vers le nord. Selon Lina, le véhicule roule à 70 km/h (la vitesse autorisée dans le tunnel). Pour Salim, la vitesse n’était que de 30 km/h. C’est à ce moment-là que Lina saute du véhicule en marche. « J’ai préféré sauter que le suivre », confie-t-elle, très émue.
Elle est secourue par le conducteur d’un véhicule qui la précède. Salim, lui, poursuit sa route. La chute provoque de nombreuses blessures à Lina. Quinze jours d’Interruption totale de travail (ITT) lui sont prescrits.
De son côté, Salim prend contact avec deux avocats. L’un lui conseille de ne rien faire, l’autre de déposer une main courante. L’enquête permet rapidement de l’identifier, et il est placé en détention provisoire à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis.
Le parquet évoque des « faits très graves » et une « multiplication d’agressions sexuelles » de chauffeurs VTC sur des clientes. Dans son réquisitoire, Me Serge Money, l’avocat de Lina et Soline, n’est pas pleinement satisfait de la décision, mais préfère « en rester là ». Car encore aujourd’hui, Lina souffre de cette nuit. « Je n’ai plus de vie sociale. J’ai perdu énormément en concentration », confie-t-elle en sanglots face à la juge, expliquant avoir abandonné son BTS.
Salim, qui devrait bénéficier d’une libération conditionnelle sous bracelet, a exprimé sa volonté de retrouver son épouse et ses trois enfants pour s’installer du côté d’Amiens, où il espère obtenir un poste de pâtissier. Son avocate, elle, a souligné les « déclarations divergentes » des deux plaignantes.
*Les prénoms des deux jeunes plaignantes ont été changés.