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samedi 20 avril 2024
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Explosion du taux de vacance et crise du Coronavirus : un avenir sombre guette-t-il La Défense ?

L’abondance de dizaines de milliers de mètres carrés issus des nouveaux projets immobiliers et la crise du Coronavirus pourraient impacter lourdement le quartier d’affaires. Mais La Défense a une carte à jouer.

Les grands quartiers d’affaires présents aux autres coins du monde sont-ils voués à disparaitre ? Depuis bientôt un an, la crise sanitaire du Coronavirus balaye la planète qui vit au gré des confinements, fermetures des frontières et autres mesures restrictives. La pandémie a d’emblée entrainé l’instauration du télétravail généralisé. Habituellement grouillante de dizaines de milliers de salariés, La Défense s’est du jour au lendemain retrouvée complètement désertée. Une image saisissante visible un peu partout dans les grandes places financières comme à New York ou à la City de Londres.

Un mode de travail -contraint- qui a très vite fait des adeptes. D’une part auprès de certains salariés qui y voient un gain de temps par les déplacements qu’ils n’ont plus à faire quotidiennement, mais aussi auprès des patrons qui avec cette mesure pourraient réduire considérablement leurs surfaces de bureaux et donc faire de considérables économies.

La question de l’avenir des grands ensembles de bureaux s’est donc rapidement posée. Car finalement à quoi bon, pour une entreprise s’offrir des locaux souvent très chers quand elle peut mettre tout son effectif en télétravail. Un constat qu’ont déjà fait plusieurs sociétés à l’image de la start-up parisienne Wizi qui a rendu récemment les clefs de ses bureaux pour passer entièrement au travail à distance. Alors cet exemple va-t-il faire boule de neige entrainant la mort du concept de l’immeuble de bureaux et du quartier d’affaires de La Défense ? Une idée fortement rejetée par les acteurs du marché immobilier pour qui le secteur devra cependant continuer à s’adapter aux nouveaux besoins des entreprises.

« C’est une crise qui touche l’économie réelle et qui touche moins l’économie financière. On est très loin d’une remise en question du modèle de La Défense. Je ne pense pas que ce modèle tel qu’il se concevait ces dernières années soit remis en cause. La Défense garde des atouts qui ont énormément de valeur, ce qui sera encore vrai dans l’après crise », estime Pierre-Yves Guice, le nouveau directeur de Paris La Défense. Un avis que partagent les brokers. « Nous ne pensons absolument pas que le télétravail va tuer le marché du tertiaire. La question est de savoir comment les entreprises vont aménager leurs bureaux pour créer un environnement différent », estime Ludovic Delaisse, Directeur du département Bureaux, Industriel et du Pôle Développement de Cushman & Wakefield France.

Si le cas de Wizi devrait vraisemblablement rester anecdotique, une chose est cependant certaine : les entreprises qu’elles soient petites ou grandes vont revoir à court et à long terme leurs besoins en immobilier, seconde dépense après la masse salariale. Selon une récente étude menée par l’Institut de l’Épargne Immobilière et Foncière (IEIF), plus d’une entreprise sur deux souhaite réduire son empreinte immobilière en mettant ses salariés deux jours au moins par semaine en télétravail. Un chiffre similaire quand on interroge les salariés. Cette solution pourrait permettre des gains de surface de l’ordre de 40 % permettant ainsi aux entreprises de faire de précieuses économies. « Nous avons de tout. Il y a des sociétés qui veulent réduire leurs espaces mais qui vont compenser tout çà par des espaces ‘prime’. On est plus dans une logique de réduction des coûts que dans une logique de télétravail », affirme Ludovic Delaisse. « Aujourd’hui on a beaucoup de demandes de clients qui sont dans cette réflexion là mais pour la plupart les décisions n’ont pas été prises, analyse pour sa part Mathias Grossman, directeur général de Tetris le spécialiste de l’aménagement des bureaux, filiale du broker JLL. Il y a des pourcentages un peu fous qui circulent mais au final, ce n’est pas toujours comme ça que ça se passe. Il y a des entreprises qui iront jusqu’à ces ratios de libération mais pour la plupart il se peut que ce soit moins ».

Un taux de vacance qui va bondir dans les prochains mois

Les espaces de travail imaginés jusqu’au milieu des années 2000 vont donc devoir évoluer. Fini les bureaux en enfilade par dizaines dans de grands open-space sans âme. Si ce changement a débuté il y a déjà une bonne dizaine d’années il devrait s’amplifier à l’avenir. Pour le télétravail, le Coronavirus n’a pas été un déclencheur mais un fort accélérateur. Demain le bureau devra être toujours plus évolutif, accueillant pour offrir aux collaborateurs une ambiance familiale et amicale où il fait bon travailler en reprenant les codes des start-up américaine. Cela va donc passer par de nouveaux aménagements. « L’aménagement des bureaux va évoluer », affirme Mathias Grossman. Cela se traduira par plus d’espaces de convivialité, de services annexes, d’espaces de brainstorming,…

Le quartier d’affaires de l’Ouest parisien, souvent décrit comme austère par ses détracteurs va forcément devoir relever ce défi de mutation des besoins tout en faisant face à un autre, plus cyclique. Si La Défense a enregistré durant de longs trimestres un taux de vacance historiquement bas passant sous la barre symbolique des 5 %, depuis peu ce bon chiffre a volé en éclats. Non pas à cause de la pandémie mais de la livraison de dizaines de milliers de nouveaux mètres carrés de bureaux neufs ou rénovés. Depuis l’été dernier les nouvelles tours Trinity et Alto sont venues apporter respectivement 49 000 mètres carrés et 46 000 mètres carrés auxquels s’ajoutent plusieurs autres programmes comme les 11 500 mètres de So Work ou encore Being fort de ses 12 000 mètres carrés. Cet afflux massif, mais prévu, de ces surfaces va donc faire bondir le taux de vacance du quartier très regardé qui s’établit à la fin 2020 à 10,5 % avec 381 000 mètres carrés de bureaux disponibles immédiatement. A la fin de l’année 2021 il devrait même être supérieur à 15 % selon certaines estimations. « L’évolution du taux de vacance est quelque chose que l’on anticipait avant la crise. Nous sommes sur la queue de comète du Plan de relance de La Défense, avec l’arrivée sur le marché de plusieurs bâtiments, dont Trinity et Alto », admet Pierre-Yves Guice.

Pour remplir toutes ces tours, La Défense misait il y a encore peu sur l’effet Brexit. Dès le lendemain du vote des anglais de quitter l’Union Européenne en 2016, Paris La Défense s’était attelée à aller faire les yeux doux au monde de la finance. Mais force est de constater que ce grand plan de communication a échoué. Les milliers d’emplois espérés ne se sont limités qu’à une poignée. La Défense peut tout de même se targuer d’avoir séduit l’Autorité Bancaire Européenne (ABE). « L’ABE c’était un beau symbole ; ça a contribué à placer La Défense sur la carte de l’Europe. Pour le moment, nous ne percevons pas énormément d’effets du Brexit, reconnait Pierre-Yves Guice. Cela reste cependant un sujet que nous gardons en tête ».

Un quartier a réinventer

Les possibles diminutions de surfaces de bureaux des entreprises pourraient donc encore alourdir ce taux à l’avenir. La Défense va donc devoir redoubler d’efforts pour non seulement séduire mais aussi garder les entreprises. « On a un niveau de services, qui à part à Paris intra-muros, ne se retrouve nulle part ailleurs en Ile-de-France, dans les zones tertiaires », poursuit Pierre-Yves Guice pour qui La Défense n’est pas « dans une logique de concurrence intra-territoriale ».

Il y a aussi un autre mal, plus profond qui touche La Défense depuis une bonne vingtaine d’années. Durant ses premières décennies, le quartier d’affaires a été imaginé pour accueillir de grands groupes qui ne trouvaient pas assez de place au cœur de la capitale. Dans les années 60 à 80 les entreprises du CAC 40 n’avaient pas vraiment le choix pour leur implantation. Mais au début des années 90 une myriade de petits quartiers d’affaires a fleuri partout dans la région. La mode des campus est aussi apparue. La Défense a été concurrencée de toutes parts. Cette logique d’ « une tour – un utilisateur », est de moins en moins réaliste. Chose presque inimaginable il y a encore vingt ans -désormais les propriétaires et porteurs de gros projets n’hésitent plus à diviser, à partir d’un étage, leur tour. Autrefois écartées du cercle des géants, les petites et moyennes entreprises qui peuvent louer des surfaces de moins de 10 000 mètres carrés, se voient ouvrir maintenant, les tours de La Défense. Alors forcément il est plus long de remplir un building de multiples locataires, mais l’opération s’avère finalement bien souvent plus rentable, les départs n’étant pas simultanés mais s’étalant dans le temps. « Le relais de croissance de La Défense ces dernières années, ça a été des transactions, entre 1 000 et 5 000 mètres carrés, qui ont très bien fonctionné. L’idée c’est de passer d’un modèle de monolocation à quelque chose de multilocataires, estime Magali Marton, directrice Service Etudes chez Cushman & Wakefield France. C’est même souhaitable ; ce qui fait la vie d’un quartier d’affaires, c’est une diversité de profils, de tailles d’entreprises ». Une diversification de l’offre que voit d’un bon œil l’aménageur du quartier. « La multiplicité des occupants dans une tour est une bonne chose. Cela veut dire que l’on a une plus grande diversité d’utilisateurs dans le quartier », se réjouit de son côté le directeur de Paris La Défense.

La clef de cette séduction passera inéluctablement par une baisse des loyers selon les brokers. Le réajustement de la valeur des baux à la baisse, permettra au quartier d’affaires d’être plus concurrentiel face à d’autres quartiers en périphérie et plus largement tout autour de Paris. « La question que l’on peut se poser c’est surtout le report que l’on a eu ces vingt dernières années dans le marché péri-Défense qui a accueilli ces sociétés qui ne trouvaient pas place dans les tours de La Défense. Ne vont-elles pas se repositionner dans le marché de La Défense ? », s’interroge Ludovic Delaisse qui met en avant la qualité du quartier d’affaires. L’établissement public Paris La Défense ne cesse d’améliorer le confort pour ses utilisateurs avec toujours plus d’espaces verts, d’offre de restauration, d’animations festives et culturelles… Un travail de longue haleine qui semble aujourd’hui porter ses fruits. Et Paris La Défense ne compte pas en rester là puisque l’établissement ambitionne de se doter d’une « raison d’être ».

Paradoxalement l’année 2020 aura été l’une des meilleures depuis un très long moment sur la demande placée avec un peu moins de 200 000 mètres carrés de bureaux qui ont trouvé preneur. Un record, à relativiser puisque deux tiers de ce volume sont issus de la confirmation de Total dans la future tour The Link, un projet connu de longue date. Hormis Total, seules deux transactions ont excédé la tranche des 5 000 mètres carrés, avec KPMG qui s’est offert 5 200 mètres carrés dans Europlaza et Sopra Steria qui a choisi les 21 600 mètres carrés de Latitude pour se regrouper.

A long terme l’avenir de La Défense ne semble donc pas si sombre pour les spécialistes du quartier. Mais à court terme les prochains trimestres vont être difficiles. La Défense va devoir digérer ces dizaines de milliers de mètres carrés de bureaux. « On a une passe difficile sur La Défense, ça va tanguer, on en est conscient », admet Magali Marton. Les nouveaux programmes comme Alto et Trinity auront-ils du mal à trouver preneur dans ce marasme économique ? Non, estiment là encore les acteurs de l’immobilier. « Il y a des transactions qui sont en cours sur Alto. D’ici la fin de l’année, Trinity et Alto seront en grande partie loués tout comme Landscape qui pourrait trouver sa place », assure Yannis De Francesco, directeur de l’équipe Agence grands projets à JLL. Un potentiel preneur pour 30 000 à 40 000 mètres carrés regarderait même de près certains nouveaux bâtiments de La Défense. Une transaction qui si elle venait à se concrétiser serait un véritable signe d’encouragement pour La Défense. Mais qui est-il et où irait-il ? pour l’heure mystère, en revanche pas à Trinity comme l’affirme Bruno Donjon de Saint Martin, le directeur général, Bureaux, Hôtels et Investissements Europe au sein d’Unibail-Rodamco-Westfield, le propriétaire de l’immeuble tout juste livré. « Je suis  confiant pour la commercialisation malgré la concurrence et le Covid-19. Nous avons des discussions sérieuses sur des demandes qualifiées, principalement sur le créneau 5 à 10.000 mètres carrés », affirme Bruno Donjon de Saint Martin.

Une confiance pour l’avenir

Il est donc inéluctable que plusieurs entreprises réduisent leurs surfaces de bureaux dans un avenir pas si lointain. Les grands gagnants de cette nouvelle stratégie pourraient bien être les spécialistes du coworking qui proposent des solutions bien plus souples que les traditionnels baux 3/6/9. Les salariés habitant par exemple loin de leur lieu de travail et n’étant pas à l’aise avec le télétravail à domicile pour de multiples raisons (logements trop petits, mauvaises connexions internet,…) pourront trouver quelques jours par semaine refuge dans ces espaces flexibles. Depuis quelques années déjà, des grandes boites n’hésitent plus à loger des équipes projets dans ces espaces pour parfois une longue durée. « Aujourd’hui la situation n’est pas simple pour nous à La Défense. Après il y a une vraie opportunité pour que des entreprises retrouvent des espaces plus flexibles pour le nombre de postes, la durée et le lieu. Notre force c’est de pouvoir offrir cette flexibilité. On est confiants pour la reprise, même sur La Défense. Nous allons pouvoir rebondir avec des entreprises qui auront besoin de flexibilité », confie le président de Wojo, Stéphane Bensimon. Certaines sociétés ont même fait le grand saut en renonçant à louer en direct leurs bureaux pour passer par un centre de coworking comme intermédiaire à l’image de Groupon qui a décidé l’année dernière d’installer son siège français chez WeWork. Une première à La Défense pour les entreprises de cette taille, qui ne devrait cependant pas vraiment se généraliser.

Ces deux tempêtes, celle du Coronavirus et du taux de vacance, qui risquent d’en former une seule, vont-elles par ailleurs avoir des conséquences sur les futurs projets immobiliers de La Défense ? Pour l’instant la question semble prématurée. « Le projet des tours Sisters se poursuit. Pour le reste c’est encore trop tôt pour mesurer l’impact de la crise. Peut-être qu’il y aura de la casse sur le long terme. Nous allons tout faire pour que ça ne soit pas le cas. Et s’il y a besoin d’adapter nos conditions d’intervention nous le ferons. Pour l’instant nous n’avons pas de signe d’arrêt de projets », lâche Pierre-Yves Guice. Bruno Donjon de Saint Martin confirme pour les projets du groupe URW. «La rénovation du Galilée devrait être lancée dans l’année 2021 ; Pour Sisters l’enjeu actuel c’est le jugement du recours en cour d’appel », rajoute Bruno Donjon de Saint Martin.

A en croire les acteurs de l’immobilier La Défense n’est donc pas morte. « Cette année je pense que l’on fera entre 150 000 et 200 000 mètres carrés », prévoit Yannis De Francesco. Malgré ce scénario optimiste la période à venir ne sera certes pas facile entre la crise sanitaire et l’explosion du taux de vacance mais le plus grand quartier d’affaires d’Europe devrait résister à une énième crise même si celle-là risque d’être violente.

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