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mardi 4 novembre 2025
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« C’était un homme qui voyait le monde à travers les formes cubiques » : Stéphane Demoustier, le réalisateur de L’Inconnu de la Grande Arche, se confie

Réalisé par Stéphane Demoustier, L'Inconnu de la Grande Arche sort ce mercredi 5 novembre en salles.

Bâtiment emblématique du quartier d’affaires de La Défense avec son voisin le Cnit, la Grande Arche clôture, ou du moins prolonge, l’axe historique dessiné par André Le Nôtre. Lancé par François Mitterrand après des années de tergiversation, le projet « Tête Défense » avait été remporté en 1983 par Johan Otto von Spreckelsen. L’architecte danois, parfaitement inconnu, avait séduit le président avec son « Cube » face à des dizaines d’autres propositions signées de grands noms.

La Grande Arche de La Défense avait fait l’objet d’un roman en 2016 de Laurence Cossé, intitulé tout simplement La Grande Arche. Mais l’histoire de l’Arche reste finalement peu connue et encore plus celle de son architecte, décédé durant la construction.

Une histoire savamment racontée, servie par un casting remarquable, que le réalisateur Stéphane Demoustier réussit à porter à l’écran. Si la narration s’autorise quelques largesses scénaristiques malgré un récit globalement fidèle à l’histoire, la réalisation minutieuse nous plonge au cœur de la naissance de l’Arche et de son chantier. L’intégration de photographies d’époque offre aux spectateurs une immersion saisissante dans un quartier tel qu’il était au début des années 80.

L’Inconnu de la Grande Arche, dont la sortie est programmée ce mercredi 5 novembre, met à l’affiche Claes Bang (dans le rôle de Johan Otto von Spreckelsen), Sidse Babett Knudsen (Liv von Spreckelsen), Xavier Dolan (Jean-Louis Subilon, qui est un mélange de trois personnages du projet : Jean-Louis Subileau qui dirigeait la la SEM nationale Tête Défense ; Robert Lion, président de la SEM Tête Défense et Yves Dauge, Coordonnateur des Grands Projets), Swann Arlaud (Paul Andreu) et Michel Fau (François Mitterrand).

Le tournage du film s’est déroulé du 9 septembre au 25 octobre 2024, en Île-de-France, au Danemark et en Italie. Certaines scènes ont été filmées au palais de l’Élysée, au Louvre, dans les carrières de marbre de Carrare en Italie, à la préfecture des Hauts-de-Seine (dans le bureau du préfet) et sur le parvis de La Défense. Le chantier de l’Arche en construction a été reconstitué dans le backlot des TSF Studios 77, en Seine-et-Marne. Des prises de vue ont également eu lieu sur les Champs-Élysées, où la circulation a été interrompue un dimanche matin pendant trois heures pour faire circuler des véhicules d’époque.

Entretien avec Stéphane Demoustier :

Stéphane Demoustier est le réalisateur de L’Inconnu de la Grande Arche – Defense-92.fr

Pourquoi, comment et quand vous est venue l’idée de vous intéresser à la Grande Arche et à son architecte ?

J’avais lu le livre de Laurence Cossé et ça a attisé ma curiosité pour ce personnage hautement romanesque qu’est Johan Otto von Spreckelsen. Dans le livre, j’ai découvert que l’on avait très peu d’informations sur lui. J’ai découvert une histoire atlante. J’ai lu le livre dès sa sortie en 2016. Au début, les droits étaient pris. Puis ils sont redevenus libres. J’ai donc décidé de l’adapter en film.

Comment avez-vous mené votre travail de recherche ? Beaucoup de protagonistes sont morts, à commencer par Johan Otto von Spreckelsen, Paul Andreu et François Mitterrand ?

J’avais quand même une base sur le chantier et les soubresauts politiques de l’affaire. C’est documenté. Le livre de Laurence Cossé m’a offert beaucoup de matière. Il est très bien documentée. J’ai aussi pu rencontrer des personnes qui avaient travaillé avec Paul Andreu sur le projet, comme Jean-Louis Subileau.

Claes Bang (dans le rôle de Johan Otto von Spreckelsen), Xavier Dolan (Jean-Louis Subilon, qui est un mélange de trois personnages du projet) et Swann Arlaud (Paul Andreu) – Agat Films / Le Pacte

Avez-vous eu du mal à convaincre la famille de Johan Otto von Spreckelsen, dont sa femme, toujours vivante et âgée de 98 ans, d’obtenir les autorisations nécessaires ?

Le film montre bien que Liv, la femme de Johan Otto von Spreckelsen, a inventé le principe des royalties sur les œuvres architecturales. Nous avons sollicité l’autorisation de réaliser le film et de filmer le bâtiment auprès de la famille de Johan Otto von Spreckelsen. Nous n’avons longtemps pas eu de réponse, puis avons finalement reçu une réponse négative. Ils n’ont d’ailleurs même pas proposé de prix : ils ont tout simplement dit non. Nous avons fait valoir le droit à l’information. C’est une œuvre publique, financée par des fonds publics. Nous ne montrons pas l’œuvre finie. Je ne crains pas de poursuites : la question juridique a été scrupuleusement étudiée.

Le format de l’image est carré (1/37), c’est un clin d’œil direct à la Grande Arche ?

C’était pour évoquer le carré de von Spreckelsen. C’était un homme qui voyait le monde à travers les formes cubiques en permanence. Il a conçu des églises toutes de forme cubique. Il fallait que je chausse ses lunettes pour entrer dans la tête de quelqu’un qui voit le monde à travers un carré.

Votre film dépeint un architecte passionné mais aussi colérique, borné et orgueilleux ?

J’ai essayé d’être fidèle à un aspect fondamental chez lui. C’était quelqu’un de très attaché à son idée. L’architecture, c’est toujours une tension entre l’idée et le principe de réalité. Il a eu raison de croire en son idée, mais je pense qu’il a eu tort de ne pas réussir à s’adapter au réel. Je me suis dit qu’il fallait dépeindre quelqu’un parfois obsessionnel, attaché à ses convictions. Les témoignages que j’ai pu recueillir ont montré un homme rigoureux, même s’il levait rarement la voix.

Le tournage du film sur le parvis de La Défense le 8 octobre 2024 – Defense-92.fr

La construction et l’architecture sont des domaines très techniques. Il était important pour vous de rendre le film le plus compréhensible possible ?

Le plaisir d’un film réside aussi dans le plaisir de découvrir un univers, parfois un territoire, et ceux qui y vivent. Ici, l’univers du film est celui de la construction. Il m’importait donc d’assumer le fait que l’Arche posait des questions techniques. Il ne fallait pas avoir peur de les traiter. Car c’est la singularité du sujet de ce film. Je suis par ailleurs convaincu que c’est en étant spécifique qu’on parle paradoxalement au plus grand nombre. Donc j’ai assumé volontiers ces discussions techniques, en considérant que si je comprenais ces discussions, alors tout le monde pourrait les comprendre, car je ne suis pas un spécialiste.

Il y a eu un gros travail de post-production pour intégrer vos scènes dans une Défense telle qu’elle l’était dans les années 80. Cela a-t-il été compliqué ?

Nous sommes partis de photographies réelles pour y insérer nos personnages. Certaines images, comme celles tournées sur la passerelle du chantier de l’Arche, ont été animées. Nous avons eu accès à l’ensemble de la photothèque de Bouygues (qui a mené le chantier, ndlr) et de Paris La Défense. En post-production, nous avons animé ces photos pour les intégrer au paysage. Il a également fallu effacer, en post-production, toutes les tours construites postérieurement. Notre budget était très réduit : il s’élevait à 7 millions d’euros.

Pourquoi ce choix scénaristique de le voir mourir au milieu de la dalle devant son œuvre inachevée, alors qu’il s’est éteint chez lui, au Danemark ?

Après avoir abandonné le projet, il est revenu en France. Personne ne sait pourquoi. Il a fait un malaise cardiaque en arrivant en France. Il a été hospitalisé à l’hôpital Américain de Neuilly, puis il a été rapatrié au Danemark où il est mort en mai 1989. La question que pose cette scène était de savoir s’il meurt écrasé par son œuvre ou s’il meurt de l’avoir abandonnée.

Après votre film sur la Grande Arche, auriez-vous envie de réaliser un nouveau film sur La Défense qui regorge d’histoire politico-financière ?

La Défense est un lieu de pouvoir et d’argent. Oui, il doit y avoir matière à faire des choses intéressantes, mais je n’ai pas de projet pour l’instant.

Le film retrace l’histoire de la Grande Arche et de son architecte Johan Otto von Spreckelsen – Agat Films / Le Pacte
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